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Conte d'Hivernel : 2023

Conte d'Hivernel : 2023

Par Asheralia il y a 4 mois dans Divers

 

Retrouvez le conte merveilleux qui vous a accompagné tout au long du calendrier de l'avent 2023.

 

C'est le grand retour du conte qui vous suit tout au long du calendrier de l'avent avec sa version complète et illustrée en un article ! Ça se déroule un peu plus bas pour lire cette fabuleuse histoire.

 

Mais ce n'est pas tout puisqu'une autre surprise vous attend cette année.

Et c'est une surprise pas piquée des chaks : retrouvez ci-dessous la version livre audio du conte ! Elle a été réalisée par une super petite équipe : Melina et Baazamut, avec la particpation de Séda et moi-même.

 

Équipez-vous d'un plaid, d'un chocolat chaud et d'une petite bouillote pour une expérience optimale !

 

 

 

 

Alma ?! Argh ! Où est encore cette incapable de gamine ?!

 

La porte de la maison d’où cette voix autoritaire provenait s’ouvrit violemment, laissant apparaître un homme mûr en colère. Surprise de cette apparition, Alma laissa s’échapper de ses mains la cruche qu’elle venait d’aller remplir au puits, la laissant s’écraser au sol en plusieurs pièces. 

 

— Mais c’est pas possible d’avoir une empotée pareille à la maison !” cria l’homme dont la colère semblait croître, venant à elle et la giflant si brutalement qu’elle perdit l’équilibre et chuta au milieu des débris. Alma se mit alors à genoux devant l’homme, face au sol.

 

— Pardonnez-moi Monsieur, je suis désolée, je vais aller en acheter une autre.

 

— Et avec quel argent comptes-tu en acheter une nouvelle hein ?!” lui rétorqua-t-il en lui assénant un coup de pied, “je ferais mieux de te vendre à la maison de passe, au moins tu me servirais à quelque chose !

 

Puis, après avoir craché son aigreur, il rentra à nouveau dans la maison.

Des larmes coulèrent en silence sur les joues de la jeune fille. Elle s’empressa de ramasser les brisures de poterie gisant au sol, s’entaillant la peau de ses mains, avant de rentrer à son tour afin de préparer le dîner de son beau-père.





À seulement 14 ans, Alma n’avait pas connu la plus facile des enfances. Son père est mort lorsqu’elle n’avait que 6 ans. Sa mère, ne pouvant subvenir à leurs besoins seule, se trouva un nouveau mari, mais ce dernier s’avéra être quelqu’un de violent et autoritaire, surtout envers Alma qui était la cible idéale à sa rage intérieure. Malheureusement, à ses 11 ans, sa mère décéda, tuée par des hors la loi lorsque cette dernière alla au marché.

Cela faisait donc 3 ans qu’elle vivait seule avec son beau-père. Vivait, c’est un bien grand mot, disons plutôt qu’elle survivait tant bien que mal à cette existence. Elle n’avait pas d’autre statut que celui d’esclave pour cet homme, faisant toutes les tâches nécessaires à l’entretien de la maison, du ménage à la cuisine, en passant par le travail aux champs et les courses, elle faisait tout à la maison. Seulement, malgré tous ses efforts, son beau-père ne passait pas un jour sans la rosser de coups pour n’importe quelle raison, bien souvent ivre.




Mais ce jour était différent, il était furieux comme elle ne l’avait encore jamais vu auparavant. À peine le jour s’était levé qu’il vint la chercher, l'agrippant par le poignet et la traîna de force jusqu’à une auberge. Là-bas, il la vendit contre quelques pièces et tourna le dos sans même lui jeter un dernier regard, l’abandonnant à sa nouvelle vie d’esclave, changeant juste de propriétaire.

L’auberge en question était une maison de thé où les voyageurs plus ou moins fortunés venaient passer du bon temps en compagnie de courtisanes dans une ambiance douce agrémentée de musique. De par son jeune âge et sa maigre corpulence, Alma fut reléguée au rang de simple servante, ce qui n’était pas si mal en soit, elle était plutôt bien traitée comparée à ce qu’elle connaissait avant, elle mangeait même à sa faim.

Hélas, les années passèrent, et l’enfant qu’elle était devint une jeune femme de 17 ans, et la servante qu’elle était passait de moins en moins inaperçue auprès des clients qui la sollicitaient à leurs côtés. La peur commençait chaque jour à la submerger lorsqu’elle devait mettre les pieds en salle pour servir les commandes.

 



Comme à son habitude depuis de nombreuses années, Seung-ho flânait dans les rues de la ville, revêtant un chapeau de paille et enveloppé dans sa cape, cherchant quelque occupation pour remplir sa journée. Il avait pour habitude de s'asseoir dans des coins de la ville où il pouvait observer la foule et laisser l’ambiance sonore des rues le bercer dans la plénitude.

Aujourd’hui, l’envie de boire un verre en musique le gagna, et c’est tout naturellement qu’il prit la direction de la maison de thé la plus réputée de la ville où il prit place à une table dans un coin et commanda du vin.

 

Alors qu’il dégustait sa liqueur, il observait la scène qui se déroulait à quelques tables de la sienne. Une servante se faisait chahuter par un client déjà bien grisé. Cette dernière, dans un élan de légitime défense et de terreur, rejeta l’homme de toute ses forces, le faisant s’écrouler au sol. Le consommateur commença alors à faire un scandale, ameutant rapidement la propriétaire de l’établissement qui se plia en excuses et traîna la jeune femme sèchement derrière une cloison proche de Seung-ho. Il ne quitta pas la scène d’un pouce et il ne put s’empêcher à nouveau d’écouter les brimades vociférées à la pauvre servante. 

N’appréciant guère la violence dont elle était victime, le jeune homme se leva et vint interpeller courtoisement la tenancière. Il lui proposa gracieusement de racheter la jeune femme si cette dernière n’était pas assez accommodante pour les services de l’établissement. La gérante détailla l’homme de haut en bas, puis de bas en haut, et lui répliqua d’un air sarcastique qu’elle ne voyait pas avec quel argent il pourrait lui racheter la jeune fille. Alors Seung-ho détacha une bourse attachée à son ceinturon et la lui envoya. Lorsqu’elle l’ouvrit afin d’en voir le contenu, son regard s’écarquilla, se posa sur le jeune homme, puis de nouveau sur la bourse, puis de nouveau sur le jeune homme. Elle s’inclina alors et lui céda courtoisement la servante.

 

Alma ne savait pas comment réagir. Fallait-il remercier cet homme dont elle ne voyait pas le visage ou bien le craindre davantage ? Quoi qu’il en soit, il lui fit signe de la tête de le suivre et tous deux partirent de la maison de thé.

 

 

 

 

Les deux individus marchèrent dans les rues de la ville jusqu’à atteindre une grande maison qui s’avérait être une auberge assez calme et plutôt bien entretenue. L’homme se dirigea au comptoir et demanda une chambre puis fit signe à Alma de le suivre à l’étage.

Nerveuse, elle lui emboita le pas jusqu’à la dite pièce. Une fois seuls, l’homme se débarassa de son manteau, de son chapeau, et lui fit face. Alors qu’elle n’osait pas observer son visage et se contentait de regarder le sol, se triturant les doigts de malaise, il s’adressa à elle.

 

— Regarde moi”.

 

Timidement, elle releva ses yeux et vint rencontrer les siens. Le visage de l’homme était froid, il était plutôt jeune bien que plus âgé qu’elle, et ses traits étaient assez agréables à regarder. Il était assez bien habillé, et sa longue chevelure d’ébène trahissait potentiellement son rang, certainement un jeune Seigneur.

 

Quel est ton nom ?” lui demanda t-il.

 

— Alma Monsieur.

 

— Bien Alma, je suis Seung-ho. Je ne sais pas ce que tu as connu jusqu’ici, mais sache que je ne compte pas te faire de mal. Vois ceci comme une opportunité de changement de vie.

 

Alors qu’il s’apprêtait à sortir de la chambre, il se tourna et lui dit avant de partir.

 

Je vais faire monter de quoi prendre un bain et des vêtements propres, lave-toi et change-toi, tu ne peux pas rester comme ça.” Puis il sortit, la laissant seule. 

 

Un peu blessée dans son amour propre, Alma se rendit à l’évidence qu’effectivement elle ne ressemblait pas à grand chose dans ses vieux habits rapiécés et sales. Très vite, deux femmes vinrent monter un bac, puis des seaux d’eau chaude et de nouveaux habits. De sa mémoire, elle n’avait encore jamais pris de bain chaud, jamais elle n’avait goûté à un tel luxe auparavant, alors elle profita de ce bonheur nouveau jusqu’à ce que l’eau devienne faiblement tiède. Une fois propre, sèche et vêtue de ses vêtements neufs, Alma se demandait où Seung-ho était. Elle prit l’initiative de descendre de l’étage et de se rendre dans la pièce commune. Seung-ho s’y trouvait, assis à une table, de toute évidence il l’attendait, alors elle le rejoint.





Une fois à ses côtés, il lui intima de s’asseoir en face de lui et fit signe à l’aubergiste d’apporter à manger. Quelques instants plus tard, ce dernier vint leur apporter une sorte de ragoût bien chaud, du pain et de l’eau. Étonnée, Alma avait elle aussi une assiette mais n’osait pas manger. Elle n’avait jamais eu le droit de manger avec son beau-père, ni eu le droit de manger pendant les heures d’ouvertures de la maison de thé. Seung-ho lui dit : 

 

— Mange pendant que c’est chaud.

 

Il la regarda manger, elle semblait tel un chaton sur le qui-vive se disait-il.

Une fois leur souper terminé, ils remontèrent dans leur chambre où Seung-ho s’assit sur l’un des deux lits. Alma, quant à elle, était mal à l’aise et ne savait pas ce qui l’attendait, en s’imaginant tout de suite le pire, cherchant où était le piège dans tout ce traitement de faveur.

 

Je ne vais pas te manger tu sais ?

 

Lui dit-il en plaisantant, ce qui la fit se détendre un peu.

 

Oublie ce que tu as pu vivre à la maison de thé ou même avant, tu es en sécurité avec moi. Je n’attends qu’une chose de toi : que tu restes à mes côtés où que j’aille, en soit, que tu me tiennes compagnie. Évidemment, tu es libre de partir, mais si tu restes tu n’auras pas à te soucier de quoi que ce soit, ni d' où dormir, ni de quoi manger, ni d’être à l'abri du danger.

 

Alma le regardait, l’air un peu perdu, mais sa nervosité semblait se dissiper peu à peu.

 

En attendant, il se fait tard. Nous ferions mieux de dormir.

 

Sur ces mots, Seung-ho s’allongea sous la couverture de son lit et tourna le dos à Alma, qui, de son côté, fit de même dans son propre lit. Peut être était-ce dû à cette journée folle, mais le sommeil l’envahit si vite qu’elle n’eut guère le temps de penser à ce qui lui arrivait.

 

 

 

 

Le lendemain, alors que le soleil était levé depuis longtemps déjà, Seung-ho vint réveiller la jeune femme qui dormait encore. Elle se réveilla en panique quand elle vit l’homme si près d’elle dans la position de faiblesse dans laquelle elle se trouvait.

 

— Hey hey hey, doucement, je ne compte pas te faire de mal” lui dit-il d’une voix douce pour la rassurer. “La matinée est déjà bien avancée, lève-toi, on a à faire aujourd’hui. Je t’attends en bas.

 

Seung-ho la laissa seule. Un peu déboussolée, Alma prit quelques instants pour se remémorer les événements de la veille et réalisa sa situation. Elle se hâta de se lever et de le rejoindre au rez-de-chaussée où il l’attendait pour un repas rapide. D’une voix fébrile, elle s’adressa à lui.

 

— Je vous remercie Monsieur pour hier, je vous suis éternellement reconnaissante pour ce que vous avez fait.

 

— Est-ce que ça signifie que tu restes ?

Elle acquiesça d’un hochement de tête. Un léger sourire se dessina sur le visage du jeune homme.

 

Parfait ! Nous avons plein de choses à faire aujourd’hui dans ce cas !

 

C’est ainsi que Seung-ho l’emmena faire diverses commissions à travers les rues de la ville : du nécessaire de toilette pour elle, des vêtements moins modestes que ceux qu’elle portait depuis la veille, des chaussures afin qu’elle ne soit plus pieds nus. Il lui fit même faire un tour chez une maquilleuse afin de prendre soin de ses cheveux laissés à l’abandon.

 

En fin d’après-midi, Alma n’était plus l’esclave en guenilles de la veille, mais plutôt une jeune femme assez élégante. On aurait presque pu la prendre comme faisant partie d’une bonne famille. Alma ne se reconnaissait pas elle-même, mais elle aimait l’image qu’elle renvoyait. Sa reconnaissance envers Seung-ho ne cessait de croître, bien qu’elle persistait à croire qu’il y aurait une contrepartie moins reluisante qui devait bien l’attendre à un moment ou un autre.

 

Le soir, ils retournèrent à l’auberge, prirent un souper des plus bienvenus et retournèrent dans leur chambre. C’est alors que Seung-ho lui dit que le lendemain ils partiraient, qu’il avait envie de voir du pays, qu’il avait besoin de s’éloigner d’ici quelque temps et qu’il souhaitait qu’elle l’accompagne. Alma lui répéta son éternelle reconnaissance et accepta volontiers de le suivre.

 

Après une bonne nuit de sommeil, Seung-ho et Alma prirent leurs affaires et s’en allèrent sur les routes du royaume de Cantha.




 

 

C’est ainsi que leur périple commença. Ils voyagèrent tous deux à travers le royaume, allant de village en village, de campagne en campagne. Au cours de leur pérégrination, Alma prit conscience qu’elle pouvait se détendre en sa compagnie, il ne tenta jamais rien envers elle, respectant son espace personnel. Bien sûr il lui demandait d’effectuer des tâches comme de s’occuper du repas lorsqu’ils n’étaient pas en ville, ou d’aller chercher du bois pour faire du feu, mais en dehors de ça, elle n’avait jamais été aussi bien traitée, elle avait définitivement changé de statut lorsqu’il avait croisé sa route. De son côté, Seung-ho appréciait réellement cette compagnie. Lui qui avait toujours été seul ne l’était plus et était plutôt content d’avoir croisé son chemin. 

 

Cela faisait déjà des semaines qu’ils étaient partis. Un soir, alors qu’ils partageaient une fois encore une chambre dans une auberge, Alma rassembla son courage et sa curiosité, déterminée à en apprendre un peu plus sur cet homme qui l’avait prise sous son aile.

 

— Excusez-moi si c’est incorrect de vous demander celà Monsieur mais, plein de questionnements envahissent mes pensées, puis-je vous les poser ?

 

Lui qui avait le regard perdu dans le vide, avachi dans son lit, complètement perdu dans ses pensées, fut tiré de sa rêverie et l’encouragea à parler.

 

Pourquoi m’avez-vous tirée de là-bas ? Voyagiez-vous seul avant ? N’avez-vous pas de famille avec qui rester ? Quel est le but de ce périple ?” Elle enchaînait les questions sans reprendre son souffle, débitant rapidement ces mots.

 

— Ça fait pas mal de questions dis-moi.” Lui dit-il en se redressa le sourire aux lèvres. “Et bien, et bien, et bien … Pour ton cas, je ne sais pas. J’ai trouvé que la façon dont tu étais traitée était injuste je présume. J’ai plus agit par pulsion que par réflexion je dois l’admettre.” Il rit. “Pour ce qui est du reste, je n’ai jamais voyagé avant et je ne peux pas vraiment dire que j’ai quiconque avec qui rester de toute façon. Et puis, disons que rester enfermé chez moi sans personne à qui parler ou passer avec mes journées n’était pas des plus divertissants.” Il rit à nouveau. “Bien que j’ai pris l’habitude d’errer dans les rues à la recherche de quelques occupations, la vie était bien lassante.” Son regard se voilait peu à peu de tristesse, mais il se reprit. “Et quant à la vocation de ce voyage, et bien je dirais juste qu’il s’agit du meilleurs moyen de découvrir le royaume et de profiter de ma liberté tant que je le peux encore !” finit-il en forçant un léger rire. “Et toi, comment en es-tu arrivée là ?

 

Peu habituée à parler d’elle, elle lui conta son histoire, son enfance, la mort de son père, le remariage de sa mère puis sa mort, comment elle avait été traitée par son beau-père, puis sa vie à la maison de thé jusqu’à ce qu’il apparaisse dans sa vie. Seung-ho se surprit à avoir, non pas de la pitié mais de la peine pour elle. Lui qui était habituellement écœuré par l’injustice, sentait la colère monter en lui en sachant que ce genre de faits existaient bel et bien. Leur conversation dura jusqu’à tard dans la nuit, puis ils se couchèrent.

 

 

 

 

Les semaines défilaient. Leurs pas les menaient à travers tout le royaume de Cantha, même dans les régions les plus reculées. Plus ils passaient de temps ensemble et plus ils apprenaient à se connaître, effaçant peu à peu les barrières protocolaires de leur relation. Il ne s’agissait plus d’un homme suivi par sa domestique mais plutôt de deux compagnons de route partageant leur compagnie l’un avec l’autre.

Puis, les mois défilèrent eux aussi. L’été laissait doucement sa place à la douceur de l’automne. Les montagnes qu’ils parcouraient se teignirent des couleurs de feu du phénix, réchauffant leurs âmes tandis qu’au contraire le froid s’installait peu à peu dans l’air. Pour Alma, qui n’avait jamais rien connu d’autre que son quartier natal, ce voyage emplissait ses yeux d’étoiles, et elle chérissait chaque nouveau paysage qui se présentait à elle au cours des mois.

 

Seung-ho avait beau apprécier cette longue pérambulation, il commençait néanmoins à se soucier de l’arrivée imminente du véritable froid mordant de l’hiver. Il se disait qu’il pourrait très bien supporter ces rudes conditions lui-même avec plus ou moins de difficulté et de plaisir, mais il ne souhaitait pas l’imposer à la jeune fille, se souciant de son bien-être. Bien que cela ne lui était en rien réjouissant, il savait que rejoindre son foyer était la meilleure option pour ne pas souffrir du climat. C’est donc tout naturellement qu’ils descendirent des hauteurs et rejoignirent le port du village le plus proche. Prendre la mer était la solution la plus sûre pour atteindre la cité de Kaineng avant que l’hiver ne s’installe.





Cela faisait déjà plus de deux semaines qu’ils naviguaient à bord d’un navire marchand, et Alma n’était clairement pas dans son élément. Depuis leur départ elle ne s’était toujours pas faite à la houle, et pas un jour n’était passé sans que les nausées du large ne la quittent. Se sentant coupable de la voir dans cet état, Seung-ho prenait soin d’elle du mieux qu’il le pouvait. Il lui intimait l’ordre de se reposer, lui portait ses repas dans leur cabine, l’accompagnait à l’extérieur afin de s’aérer de l’air frais maritime. Les rôles s’étaient sensiblement inversés.

Une nuit, alors que Seung-ho se réveilla, il trouva la couche d’Alma vide. Il se leva donc et la chercha. Il ne lui fallut que peu de temps pour la retrouver assise sur le pont du bateau, admirant le ciel étoilé. Il prit quelques instants pour la contempler sans qu’elle ne le remarque. Son regard reflétait la lumière des astres scintillants, mais son visage était songeur, presque habité par une mélancolie qu’il ne lui avait jamais vue. Il vint la rejoindre en s’asseyant à ses côtés. 

 

— Tu ne dors pas ?” lui dit-il d’une voix calme.

 

Perdue dans ses pensées, Alma ne le voyait ni ne l’entendait. Il lui toucha l’épaule, ce qui la fit sursauter.

 

— Oh, je ne vous avais pas vu arriver, pardonnez-moi.

 

— Il serait peut-être temps de laisser le protocole de côté et de me tutoyer non ? Ça fait des mois déjà que l’on passe tout notre temps ensemble” plaisanta t-il, mais de nouveau la jeune femme restait muette, l’ignorant. “Hey, quelque chose ne va pas ?

 

Elle reprit ses esprits.

 

— Rien ne bien important, ne vous inq-”. Elle marqua une hésitation puis se corrigea, “ne t’inquiète pas.

 

C’était la première fois qu’elle le tutoyait, Seung-ho sourit à cette idée. 

 

— Je ne suis peut-être pas le plus dégourdi pour prendre soin de moi, mais je suis loin d’être aveugle Alma. Dis-moi ce qui te tourmente” insista t-il auprès d’elle.

Après un soupir, elle se décida de lui répondre d’une voix toujours triste et hésitante, de coutume aussi peu habituée à parler d’elle.

 

— Aujourd’hui … c’est mon 18ème anniversaire … mais je n’ai plus personne dans ma vie pour me le souhaiter. Du coup, je pensais à ma mère qui me préparait des boulettes de riz spécialement pour mon anniversaire quand j’étais petite.” La mélancolie se lisait sur son visage sur lequel se dessinait un modeste sourire triste.

 

— Tu m’as moi.” Seung-ho se surprit lui-même de sa réponse spontanée. “Enfin, ce que je veux dire, c’est que tu n’es pas seule. Et si tu le souhaites, tu peux rester avec moi autant de temps que tu le souhaites, je veillerai sur toi.

 

Alma le dévisagea, surprise de cette réponse et se mit à rire.

 

— Arrête de te moquer de moi, tu as quel âge pour dire des mièvreries pareilles ?

 

— J’en ai 23 mais je suis sérieux. Réfléchi à mon offre, ça ne t’engage en rien, je ne te demande pas ta main non plus.

Un long silence embarrassant s’installa.

 

Enfin bref il est tard et il fait froid, je retourne me coucher, ne tarde pas trop, déjà que l’océan ne te réussit pas ne va pas te rendre de nouveau malade.

 

Il se leva et s’apprêta à regagner leur cabine quand Alma l'interpella

 

— Seung-ho ?

 

L’intéressé se retourna vers elle.

 

Merci.” Lui dit-elle en lui souriant légèrement.

 

Il lui rendit son sourire, lui tendit la main pour l’aider à se relever.

 

Et pour ce que ça vaut, joyeux anniversaire Alma.

 

Et ils rentrèrent ensemble finir leur nuit au chaud.

 

 

 

 

Après un peu plus d’un mois de navigation, le navire entrait enfin au port de la cité de Kaineng. Alma était plus que ravie d'enfin retrouver la terre ferme. Même si à la moitié du voyage elle s’était enfin faite aux mouvements incessants des vagues, elle n’était définitivement pas faite pour cette vie là !

Le soleil se couchant déjà, Seung-ho prit la décision de louer une chambre dans une auberge, ils ne rentreraient chez lui que le lendemain. Alors que tous deux mangeaient leur repas à l’auberge, il lui dit, d’un ton trahissant son anxiété.

 

— Alma, demain, quoi qu’il arrive, quoi que tu entendes, ne dis rien, et ne parle à personne.

 

— Pourquoi ?” s'étonna-t-elle.

 

— Il se peut que mon retour fasse des vagues. Je ne veux pas que tu t’impliques dans une situation qui pourrait s’avérer compliquée pour toi. Je ne veux pas qu’il t’arrive quoi que ce soit. Je tiens bien trop à toi pour laisser une telle chose se produire. Fais moi juste confiance.

 

Alma ne savait pas quelle information elle devait retenir en priorité dans ce qu’il venait de lui dire, le fait qu’elle s’apprêtait certainement à entrer dans la gueule du tigre ou qu’il avait de l’affection pour elle ? Quoi qu’il en soit, une fois le dîner terminé, ils allèrent se coucher. Le lendemain ne leur ferait certainement pas de cadeau, elle l’avait bien compris.





Au matin, à peine furent-ils prêts qu’ils quittèrent l’auberge. Il y avait déjà foule dans les rues de Kaineng, la cité fourmillait de monde entre les allées commerçantes. Alma avait du mal à suivre Seung-ho tant il était difficile de se frayer un chemin parmi tous ces gens. Il le remarqua et lui prit fermement la main pour être certain qu’elle ne disparaisse pas et reste à ses côtés tout en continuant de marcher. La jeune femme était touchée par ce geste qui aurait paru anodin à n’importe qui d’autre, mais après tout ce qu’il avait fait pour elle, et après ce qu’il lui avait dit la veille, elle ne pouvait s’empêcher de sentir son cœur battre plus fort un instant.

Au fur et à mesure qu’ils avançaient, Alma remarqua qu’ils prenaient la direction du nord de la cité, là où le commun du peuple n’avait en aucun cas le droit d’accéder puisqu’il s’agissait de là où se trouvaient le palais impérial et autres résidences des membres de la haute noblesse. Lorsqu’elle le fit remarquer à Seung-ho, ce dernier ne pipa mot et se contenta de serrer sa main plus fermement encore, lui communiquant la tension qui s’emparait de son être. Alma commençait à s’inquiéter, lui qui avait toujours été prévenant avec elle depuis leur première rencontre était un tout autre homme, froid et tout à coup inaccessible.

 

 

 

 

Arrivés au niveau des remparts séparant la cité du palais, Seung-ho sortit un sceau de son manteau et le montra aux gardes qui se dressaient devant l’entrée. Promptement, ces derniers s’inclinèrent, puis s’écartèrent, les laissant passer sans poser de question. “Sa famille doit certainement travailler étroitement avec le palais” pensa-t-elle, toujours étonnée de là il les conduisait.

Après avoir traversé le rempart, il lui lâcha la main. Bien qu’il était évident qu’ils n’avaient plus besoin de ce contact pour rester ensemble, Alma ne put s’empêcher de ressentir un pincement au cœur, mais elle fut très vite tirée de sa rêverie.

 

— Tu te souviens de ce que je t’ai dit hier ?

 

Sa voix était plus froide encore que le vent qui s’engouffrait dans ses habits. Alma acquiesça d’un timide hochement de tête.

 

Très bien, alors suis-moi.

 

Joignant l’acte à la parole, Seung-ho les mena à travers les différents jardins et cours du palais, jusqu’à atteindre un gigantesque pavillon où ils entrèrent. À peine arrivés, il appela un serviteur et lui commanda d’une voix autoritaire d’apporter de l’eau chaude ainsi que des vêtements propres pour Alma, qu’il désigna comme étant sa dame de compagnie. Cette dernière dissimula son malaise tout en admirant la pièce où elle était, comprenant qu’il s’agissait du foyer de Seung-ho. Jamais elle n’avait vu ou même imaginé un jour venir dans un endroit pareil. Son émerveillement remplaçait peu à peu son embarras. 

 

Viens, le bain est prêt” lui dit-il peu de temps après.

 

Alma le suivit dans un long couloir menant vers une autre pièce où se trouvait un large bassin en pierre creusé à même le sol. Elle qui s’attendait à avoir une bassine d’eau chaude comme ce fut le cas à l’auberge fut bien surprise de voir ça.

 

Une fois que tu auras terminé, je ferai venir une servante pour t’aider à t’habiller et te rendre présentable.” Puis il la laissa seule.

 

Elle en profita pour laisser tomber à terre ses vêtements et se glisser dans l’eau chaude si accueillante.

 

— Présentable ?” se dit-elle à elle-même. “Je ne le suis pas déjà assez pour lui ?” Elle était presque blessée, se sentant un peu rabaissée.

 

Assise au fond du bassin, Alma sentit son corps se détendre par la chaleur voluptueuse du bain. Son stress montant depuis la veille s’envolait avec les vapeurs de l’eau chaude. Après un long moment passé dans l’eau à se laver et à se délasser, elle en sortit enfin et se drapa dans un peignoir laissé pour elle à sa disposition. Une femme rentra alors en s’inclinant devant elle. Il s’agissait de la servante qu’avait mentionnée Seung-ho plus tôt. Celle-ci mena Alma dans une nouvelle pièce, qui semblait être une chambre, et l’aida à s’apprêter comme une dame : de beaux habits et une coiffure soignée. En se regardant dans le miroir, Alma se disait que toute une vie de dur labeur ne pourrait même pas lui permettre de s’offrir une telle toilette, elle en restait bouche bée.

 

C’est alors que Seung-ho vint la rejoindre après que la servante soit allée le prévenir qu’elle avait terminé son travail. Il ne portait plus sa tenue habituelle de vagabond mais un hanbok élégant fait de soie et brodé de parures d’or. “Il doit être sacrément riche pour porter de tels habits et habiter dans un pareil endroit avec des domestiques” se mit à penser Alma. Dès qu’il la vit, il ne put s’empêcher de sourire. Dissimulée sous des vêtements de paysan, il ne s’était jamais rendu compte à quel point elle était belle. Bien sûr il l’avait toujours trouvé jolie, mais dans de tels atours, elle resplendissait.

 

Ils passèrent le reste de la journée ensemble, Seung-ho lui faisant visiter le pavillon et ses jardins attenants, remplissant les yeux de la jeune femme d’étoiles alors que les premiers flocons de l’hiver tombaient sur eux, les forçant à se réfugier en intérieur. Tandis que les lueurs du jour commençaient à faiblir, un serviteur vint les rejoindre pour annoncer une visite.

 

— Votre Majesté, votre mère souhaite s’entretenir avec vous.

 

Alma avait-elle bien entendu ce qu’elle venait d’entendre ? Elle dévisagea aussitôt Seung-ho dont le visage s’était refermé et agrémenté d’un regard noir. Il lui dit sur un ton fruste.

 

— Attends-moi ici Alma.” Il se leva, et se rendit dans une des pièces attenante à la leur.

 

 

 

 

Malgré les cloisons les séparant, ainsi que son état de choc après une telle information, Alma parvenait tout de même à entendre des bribes de conversations : un mélange de colère sur la disparition de Seung-ho, de son absence, une histoire de succession, des questionnements sur elle également.

 

La conversation qu’il avait avec celle qui était sa mère était houleuse et pleine de colère, les deux hurlaient toujours plus fort, avec toujours plus de véhémence à chaque réplique. Alma paniquait, seule, les minutes semblaient des heures à attendre qu’il revienne, qu’il lui explique ce qu’il se passait, qu’il lui explique qui il était en réalité. Tant d’interrogations, tant de remises en question se bousculaient dans son esprit. Entendre une telle joute verbale lui rappelait malgré elle le souvenir des violences qu’elle subissait de son beau-père lorsqu’elle était enfant. Sans s’en rendre compte, elle s’était assise au sol en position foetale, tremblant comme une feuille.

C'est ainsi que Seung-ho la retrouva lorsqu’il revint.





Seung-ho était furieux en revenant auprès d’Alma, bouillonnant de rage. Mais lorsqu’il la vit dans cet état fébrile, il ne put s’empêcher de voir son cœur fondre et sa colère s’évapora en un clignement. Il s’approcha d’elle comme on s’approche d’un animal blessé que l’on ne veut pas effrayer.

 

— Alma ?” l’appela-t-il d’une voix douce.

Mais elle ne réagissait pas. Lorsqu’il lui toucha l'épaule, elle sursauta.

 

Hey, je suis désolé. J’aurais préféré que tu apprennes certaines choses autrement.” dit-il un poil gêné.

 

Le regard de la jeune fille faisait tout pour éviter celui de Seung-ho, elle était clairement perdue, ne sachant plus quoi penser ou croire, remettant en cause tout ce qui s’était passé durant les mois passés ensemble, depuis le jour où il l’a sortie de la maison de thé où elle était vouée à devenir une courtisane parmis tant d’autres.

 

Écoute, tu as l’air décontenancée et je le comprends. Viens, je t’accompagne dans tes appartements pour que tu t’y reposes. Je donnerai les réponses à toutes tes questions quand tu te sentiras prête.

 

Alma prit machinalement la main qu’il lui tendait et se laissa conduire, sans trop se rendre compte que son corps bougeait tout seul. Une fois seule dans sa chambre, elle fondit en larmes, se détestant elle-même de ressentir ce qu’elle ressentait au fond d’elle. Elle qui pensait avoir trouvé un sauveur, un ami, un protecteur, et même peut être un amant en devenir, elle s’était trompée sur toute la ligne. Elle n’avait été qu’une distraction ? Était-ce cela qu’elle était ? C’est ainsi que le sommeil l’envahit et l’enveloppa de ses bras alors que ses sanglots s’estompaient doucement.

 

De son côté, Seung-ho était resté dans le couloir, assis et adossé à la chambre où il venait de la conduire. L’entendre pleurer durant des heures fendait son cœur en deux. Lui-même se détestait de ne pas lui avoir révélé qui il était au préalable. Il aurait dû le faire, surtout quand il a pris la décision de revenir ici en sa compagnie. À présent, la peur de la perdre s'immisçait dans sa tête, la peur d’être seul à nouveau. Ou peut-être n’était-ce pas seulement ça ? Il ne put se résoudre à l’idée de s’éloigner d’elle, et, lorsqu’il l’entendit s’assoupir, il s’endormit à son tour dans le couloir.

 

Durant la nuit, il se réveilla à cause de la douleur causée par l'inconfort de la position dans laquelle il s’était endormi. Doucement, il pénétra dans la chambre où Alma dormait. Lorsqu’il la vit étendue au sol, il s’approcha d’elle à pas feutrés pour ne pas la réveiller. Il la prit délicatement dans ses bras et vint la déposer sur le lit, veillant à son confort, et la recouvrit d’une épaisse couverture. Ne souhaitant pas lui laisser un possible sentiment d’abandon lorsqu’elle viendrait à s’éveiller, il alla prendre place sur le fauteuil se trouvant à côté du lit et préféra veiller sur elle. Mais la torpeur vint l’envahir malgré lui, et il s’enfonça dans un nouveau sommeil.



 

 

Les rayons du soleil emplissaient la chambre d’une douce chaleur. Alma ouvrit ses yeux et se rendit compte qu’elle ne se trouvait pas là lorsqu’elle les avait fermés. Alors qu’elle se redressait dans le lit, elle vit Seung-ho endormi sur son fauteuil mais à moitié avachi sur le lit. Était-il resté auprès d’elle toute la nuit ? Elle n’osait pas le réveiller et se contentait d’admirer ses traits fins, ses longs cheveux ébènes. Alma était tiraillée entre les souvenirs des événements d’hier et la tendresse que lui inspirait ce qu’elle avait sous ses yeux. Sans s’en rendre compte, sa main s’était portée à lui, laissant ses doigts toucher délicatement sa chevelure, geste qui se transforma en une douce caresse. 

 

— Je pourrais m’y habituer tu sais ?”.

 

Alma sursauta en entendant la voix de Seung-ho.

 

— Je … je ne voulais pas vous réveiller, je suis profondément désolée … Votre Majesté” se mit-elle à balbutier.

 

Il se redressa et tenta de croiser son regard fuyant.

 

— Alma, c’est moi, je suis toujours la même personne que tu connais depuis des mois. On a cure de l'étiquette.

 

— Non, pas en connaissant votre véritable identité, c’est impossible.

 

Seung-ho laissa s’échapper un soupir de détresse.

 

— Tu as besoin de temps pour t’y faire je présume … je te laisse tranquille alors …” dit-il en se relevant.

 

Au niveau de la porte de sortie, il ajouta.

 

N’hésite pas à venir me voir quand tu seras prête, je serai toujours là pour toi et pour apaiser ton esprit de n’importe lesquels de ses questionnements.

Puis il quitta la pièce, laissant la jeune femme avec elle-même.





Les jours passèrent. Alma faisait tout pour éviter de se retrouver en présence de Seung-ho, même lorsque ce dernier la cherchait. En sachant qu’il ne viendrait jamais l'importuner dans sa chambre, elle n’en sortait que rarement. Elle ne touchait guère aux plateaux repas laissés devant sa porte. Sa tête était bien trop remplie de choses auxquelles elle tentait d’échapper.

Après près de deux semaines de fuite, une patience arrivant à ses limites, mais surtout une inquiétude montante envers Alma, Seung-ho ne put se résoudre à laisser la situation continuer ainsi.

 

Par conséquent, un soir, il veilla devant la porte de sa chambre, bien décidé à l’intercepter au cours de l’une de ses sorties nocturnes. Il n’eut pas à attendre bien longtemps puisque la porte s’ouvrit, laissant apparaître Alma devant lui. Elle tenta de refermer la porte mais il s’interposa afin de pénétrer dans la chambre de la demoiselle, bien décidé à en terminer avec ce silence pesant. Sans trop gérer la situation, la tentative de dialogue se mua peu à peu en une virulente altercation verbale entre nos deux protagonistes, des larmes perlant même dans les yeux de la jeune femme.

 

Sentant que la querelle s’envenimait et que ça ne menait à rien, Seung-ho attrapa Alma par la manche alors qu’elle se retournait pour lui tourner le dos, la forçant ainsi à lui faire face. D’un geste sûr, il encerla la jeune femme par la taille de l’un de ses bras pour la coller contre lui. De son autre main il releva son menton et pressa ses lèvres contre les siennes dans un baiser mêlant colère et passion. Le contact ne dura que quelques secondes avant qu’ils ne se séparèrent, se regardant dans les yeux, tous les deux ne sachant comment réagir vis-à-vis de l’autre. La tension qui était montée lors de leur dispute avait disparu, elle laissait place à une sorte de sérénité. Toujours dans les bras de Seung-ho, Alma posa sa tête contre son torse, elle pouvait entendre son cœur battre fort. Elle était silencieuse, lui aussi. Aucun d’eux ne voulait rompre cette étreinte. C’était comme si cela faisait des décennies qu’ils en avaient besoin, comme si c’était une évidence d’être là, collés l’un dans les bras de l’autre. Combien de temps restèrent-ils ainsi ? La réponse à cette question n’était pas importante. Le fait est qu’ils ne purent se résoudre à se séparer. Alors, ils rejoignirent ensemble le lit d’Alma et, après avoir déposé un chaste baiser sur ses lèvres, Seung-ho l’enveloppa de ses bras, puis, ils s’endormirent l’un contre l’autre, passant ainsi la nuit ensemble.

 

 

 

 

Alma ouvrit doucement les yeux à l’aurore, son corps toujours blotti dans les bras de Seung-ho. Ce dernier était toujours là, la regardant se réveiller.

 

— Bien dormi ?

 

La jeune fille se mit à rougir tout en acquiesçant.

 

Prête à entendre qui je suis vraiment ?

Une fois de plus elle hocha de la tête. Alors, après une profonde respiration, il commença son récit.

 

Comme tu l’as entendu, je suis Seung-ho Yeon, premier fils et fils héritier de l’Empereur Sukjong Yeon. Je suis voué à monter sur le trône une fois que son heure sera venue. Mais le fait est que je ne suis pas sûr de vouloir de ce fardeau … Ce n’est pas que je rejette mes responsabilités ou quoi que ce soit du même genre, mais je sais que je n’ai pas les épaules pour le porter contrairement à mon petit frère. Il s’implique dans la gestion du royaume depuis qu’il est en âge de comprendre comment ça fonctionne, il suit notre père dans toutes ses démarches et a déjà les relations nécessaires pour régner plus tard. Moi, de mon côté, j’avoue aspirer à une vie bien plus paisible et normale bien que l’impératrice, ma mère, ne soit pas du tout de cet avis comme tu as malheureusement pu le constater la fois où tu nous as entendu nous disputer … J’ai, depuis des années, pris l’habitude de profiter de mon anonymat pour me mêler au peuple et errer dans la cité en quête d’un but à mon existence.

 

— Mais pourquoi refuser votre titre ?” Alma ne comprenait pas comment on pouvait tourner le dos à une vie facile, fortunée et loin de la misère.

 

— Tout simplement parce que mon sang ne définit en rien qui je suis vraiment. Le Seung-ho Yeon devant monter sur le trône n’est pas le vrai Seung-ho. Ce n’est pas moi.” 

 

Il marqua une pause dans son discours, puis il reprit.

 

Et depuis que j’ai croisé ton chemin ce jour à la maison de thé, je suis d’autant plus déterminé à ne pas accepter la voie qui m’a été imposée.

 

Toujours allongé dans le lit, il se redressa, se séparant d’elle, et poussa un long soupir, tournant ainsi le dos à Alma qui y était encore étendue. Timidement, d’une voix incertaine, il reprit.

 

Alma. Je dois te demander quelque chose.” Il marqua une pause, puis continua lentement. “Si je te dis que tu me plais, que je veux vivre avec toi, avoir des enfants avec toi, et vivre comme une personne normale … viendrais-tu avec moi ? Je ne sais pas si je pourrais faire quoi que ce soit pour toi. Je n’aurais plus aucune richesse. Je pourrais même ne pas avoir de maison décente. Cependant … Ce que j’essaie de te dire c’est que … j’abandonnerai sans regret le trône de Cantha pour toi. Me suivras-tu ? En fait, non. S’il te plaît, viens avec moi Alma. Je serai ton homme à toi, et non l’empereur de tous.

 

Un lourd silence s’installa dans l’atmosphère. Alma était sous le choc d’une telle déclaration. Seung-ho n’osait pas se retourner et restait dos à elle, attendant une réaction.

 

— Vous voulez m’utiliser comme excuse pour vous enfuir ?” lui demanda-t-elle.

 

Alors il se retourna pour la dévisager droit dans les yeux.

 

— Je suis sincère Alma !” Sa voix trahissait une blessure dans son cœur d’entendre une telle accusation.

 

— Ça fait pas mal de choses à digérer, j’ai besoin d’un peu de temps …” lui dit-elle en détournant le regard.

 

Ainsi il sortit du lit, et il la laissa encore une fois seule.

 

 

 

 

Il ne fallut que le temps d’une journée pour Alma afin de décortiquer toutes les informations qui avaient envahi son esprit. À force de peser le pour, puis le contre, et après avoir fait le tri dans ses propres réflexions, elle prit son courage à deux mains et alla retrouver Seung-ho.

Ce dernier était dans le salon attenant au jardin intérieur. Elle le regarda contempler le jardin couvert d’un fin manteau blanc. Il avait le regard perdu dans le vide. “Était-il resté là toute la journée ?” se questionna-t-elle. Elle le rejoignit et s’asseya à ses côtés. Quand il remarqua sa présence, il ne lui adressa qu’un court coup d'œil avant de le porter à nouveau sur le jardin. 

 

— J’ai moi-même pris le temps de réfléchir” commença-t-il. “Dès que l’hiver sera passé et que les températures seront plus clémentes, je partirai. Je confesse que j’aimerais que ce soit avec toi, il est vrai. Néanmoins, s’il le faut, je partirai seul. Je n'assurerai pas mon rang d’héritier du royaume.

 

— Je viendrai avec vous dans ce cas.

 

Cette déclaration fit Seung-ho se tourner vers elle, ébahi. 

 

Je ne peux pas affirmer être dans la capacité de vous témoigner la même affection que vous me portez cependant. Je sais juste que vous comptez beaucoup pour moi Votre Majesté. Et puis, je n’ai pas de famille, pas d’ami, personne vers qui me tourner …” 

 

— Mais tu m’as moi.

 

— Oui.

 

Un silence se fit, puis, en regardant à nouveau le jardin, il lui dit d’une voix calme.

 

— Je ne te demande pas de partager mes sentiments. Ta présence suffira à égayer mes journées, à égayer ma vie. Je respecte tes émotions et je te respecte toi. Je serai le plus heureux des hommes si tu me laisses veiller sur toi aussi longtemps que tu le souhaiteras, comme c’était déjà le cas jusqu’à maintenant.

 

— Alors c’est entendu. Vous ne vous débarrasserez pas de moi de si tôt” lui dit-elle en plaisantant. Il sourit et rit à son tour.

 

— Par contre, Alma, je t’en conjure, cesse de me vouvoyer à nouveau.

 

— Je vais essayer” lui sourit-elle.

 

 

 

 

Presque trois mois s’étaient déjà écoulés. Le grand froid mordant de l’hiver avait laissé place à la douceur du printemps, les neiges avaient disparues et le vert de la nature reprenait doucement sa place. Cela faisait quelques jours consécutifs que Seung-ho se confrontait au couple impérial à propos de son refus de régner. Chaque soir il revenait plus tendu que ce qu’il était quand il y allait, si bien que ce jour, il allait y mettre un terme pour de bon. Il indiqua à Alma de rassembler ses affaires et de se tenir prête à quitter le palais.

Elle n’eut à attendre qu’une vingtaine de minutes pour le voir revenir d’un pas déterminé. Il prit une besace dans laquelle il avait lui-même rassemblé quelques affaires, celle d’Alma et surtout, sa main à elle avant de prendre la direction de la sortie du palais impérial, forçant la jeune femme à lui emboiter le pas. 

 

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

 

— J’ai abdiqué.

 

— Pardon ?!” s’exclama-t-elle en s’arrêtant d’avancer.

 

— On n’a pas le temps pour parler de ça ici Alma. On en reparle plus tard une fois sortis d’ici si tu le souhaites, mais là il faut qu’on parte avant qu’ils n’aient le temps de réagir.” lui dit-il en l’astreignant à le suivre de nouveau.

 

Ainsi, après avoir traversé les différentes cours et jardins, ils franchirent également l’arche du rempart par laquelle ils étaient rentrés quelques mois auparavant et se mêlèrent à la foule, fuyant le palais sans même un regard en arrière. Rapidement, Seung-ho les mena à l’embarcadère situé à l’Ouest de la cité afin de prendre le premier navire marchand quittant Kaineng. C’est ainsi que nos deux protagonistes laissèrent derrière eux l’avenir tout tracé de Seung-ho, désireux de tracer leur propre destin.





Le voyage en bateau dura des semaines vers le sud, une fois encore Alma avait du mal à supporter la navigation puisque nausées et fièvre l’accompagnèrent la première partie de la traversée malgré les escales fréquentes à chaque port présent sur leur trajet. Ils ne mirent définitivement pied à terre qu’une fois que le capitaine du navire leur indiqua qu’il s’agissait du dernier arrêt avant de faire demi-tour vers le nord. 

 

Les voilà donc tous deux débarqués dans une petite ville commerçante attenante à la chaîne de montagnes australes de Cantha. Bien que Seung-ho avait emmené avec lui un peu d’argent pour subvenir à leurs besoins le temps qu’ils se fassent leur propre situation, il prit l’initiative de faire des besognes de droite à gauche après qu’il se soit occupé de leur trouver un foyer dans une vieille bâtisse abandonnée dans la montagne non loin de la ville. À force de le voir se donner autant pour leur offrir une demeure décente sans jamais rechigner à la tâche, Alma ne pouvait que se rendre à l’évidence que cet homme était déterminé à tracer sa propre voie. Elle-même avait trouvé de quoi ramener un peu de ressources en allant aider en cuisine à la taverne du port.




 

 

Les mois défilèrent sans qu’ils ne le ressentent. Ils vivaient ensemble, remettant la maison en état au fur et à mesure du temps. Leur complicité grandissait au fil des saisons. Mais jamais Seung-ho n’avait tenté quoi que ce soit envers la jeune femme, il la respectait bien trop et son affection à son égard veillait à ne jamais lui imposer ses propres sentiments. Alma de son côté appréciait sa compagnie bien qu’elle conservait toujours une certaine distance, de peur de perdre la relation qu’ils avaient construit depuis leur rencontre.

 

Au premier hiver cependant, en raison du froid glacial régnant en altitude, elle tomba malade. La fièvre qui la possédait refusait de la quitter même après qu’un médecin ait fourni de quoi la remettre sur pieds. Seung-ho s’inquiétait pour elle jour et nuit, prenant soin d’elle à chaque instant. Une nuit, son état semblait empirer, elle se plaignait et sanglotait d’avoir sans cesse plus froid alors qu’elle était toujours brûlante de fièvre. Rien de ce qu’il ne faisait semblait la soulager contre le froid alors, dans l’angoisse de la perdre, il franchit l’une des limites qu’il s’était donné. Il retira la majeure partie des vêtements qu’il portait et se glissa dans le lit d’Alma pour la prendre contre lui afin de partager sa propre chaleur. Peu à peu, Alma se calma, ses spasmes se muèrent en une respiration calme, lui permettant de trouver un sommeil plus que bienvenu. Il passa la nuit ainsi à ses côtés, la conservant dans ses bras, et il s’endormit à son tour.

 

C’est elle qui ouvrit les yeux en premier au petit matin. Elle était surprise de se retrouver dans une telle situation, lovée contre Seung-ho, mais elle se rendit à l’évidence qu’elle appréciait cette étreinte. Alors qu’elle contemplait son visage, ce dernier ouvrit à son tour ses yeux. De sa main il vint toucher son front quelques instants avant de remettre son bras autour d’elle.

 

— Tu n’as plus de fièvre, je suis rassuré.

 

Leurs regards se croisèrent, aucun d’eux ne souhaitait que ce lien ne se rompe.

 

Comment tu te sens ? Mieux ?” s’enquit-il.

 

Elle se contenta de lui répondre d’un hochement de tête.

 

J’ai eu si peur de te perdre si tu savais…

 

Une lumière de tristesse se lisait dans ses yeux, ce qui chamboula le cœur d’Alma et il déposa un doux baiser sur son front.

 

Ne me refais plus jamais ça par pitié.” Son regard se posa furtivement sur les lèvres d’Alma, qui le remarqua. N’y tenant plus, et sachant qu’il ne ferait rien puisqu’il avait toujours respecté sa promesse de ne rien tenter envers elle, elle vint déposer un timide baiser sur les lèvres de Seung-ho. Il était si heureux que leur relation prenne cette tournure qu’il la serra fort dans ses bras, aux anges. Ils passèrent le reste de la journée l’un contre l’autre. Les jours suivants, Seung-ho prit soin d’Alma jusqu’à ce qu’elle soit pleinement rétablie, puis leur quotidien revint à la normale, exception faite qu’à présent leur amour était partagé, et avoué.

 

 

 

 

Alors que les jours se ressemblaient et qu’ils continuaient à vivre leur petite vie paisible loin de tout, celui-ci fut différent. Ce matin-là, Seung-ho souhaita emmener Alma quelque part. Curieuse et de toute façon heureuse de passer du temps avec lui, elle accepta avec joie cette proposition. Il prit sa main dans la sienne, entrelaçant leurs doigts, et entreprit de la guider à l’extérieur. Sans jamais laisser leurs mains se séparer, Seung-ho la mena sur un sentier qui semblait monter plus haut dans la montagne. Ils le suivirent durant quelques heures sans même les voir passer pour autant, profitant de la beauté du paysage dont ils étaient témoins.

 

Après une longue marche, ils arrivèrent à un escarpement rocheux qui laissa Alma sans voix. De là où elle se trouvait, elle pouvait admirer presque l’entièreté de la région où ils se trouvaient. C’était splendide, magnifique, à couper le souffle. 

 

— Alma ?

 

Elle se retourna vers lui, heureuse de partager ce moment avec lui. Il semblait un peu stressé mais il continua.

 

Je sais que c’est peut être un peu prématuré mais, comment dire ?” Il avait l’air d’hésiter et de chercher ses mots. “Je ne me vois pas passer ma vie sans toi. Je ne me vois pas capable de respirer sans t’avoir à mes côtés. Je ne vois pas d’intérêt à poursuivre ma vie sans que tu en fasses partie.” Il sortit un anneau en métal de sa poche. “Alma, voudrais-tu passer la tienne avec moi ? Veux-tu m’épouser ?

 

Elle était bouche bée, incapable de prononcer un mot, le souffle coupé. Elle réussit tant bien que mal à reprendre sa respiration, le regard faisant des allers et venus entre le visage de Seung-ho et l’anneau qu’il tenait dans ses mains. D’une voix tremblante mais réjouie, elle réussit à lui répondre.

 

— Oh Seung-ho oui ! Bien sûr que oui !

 

Elle se jeta dans ses bras pour l’enlacer, si heureuse de cette demande. Une fois qu’il lui passa la bague au doigt, il l’embrassa avec tout l’amour dont il était capable. En se détachant lentement d’elle il rit et sorti un second anneau de sa poche qu’il mit à son propre doigt en disant : 

 

— J’en avais prévu un second si jamais tu acceptais.

Alma se joint à son rire avant de se lover contre lui à nouveau. Ils restèrent dans les bras l’un de l’autre un bon moment avant de reprendre le chemin dans l’autre sens afin de rentrer chez eux. Une fois qu’ils y étaient arrivés, et une fois la porte fermée, ils étaient dans leur bulle de bonheur.





Assis l’un contre l’autre, ils profitaient de la douce chaleur réconfortante du feu de cheminée. La journée avait été riche en émotions, ils irradiaient de bonheur. Seung-ho se pencha vers Alma afin de l’embrasser. Alors qu’il se reculait pour lui laisser un peu d’espace, et après une courte hésitation, Alma vint à la rencontre de ses lèvres afin de prolonger ce baiser tout en l’enlaçant de ses bras derrière sa nuque. Cette fois-ci, il n’y avait rien de chaste dans ce contact, juste du désir. Sans se séparer une seule seconde, Seung-ho se redressa et la souleva par la taille, il vint la déposer sur leur lit. Très vite, chacun faisait tomber les vêtements de l’autre, désireux d’assouvir cette faim débordante qui brûlait en eux de découvrir le corps de l’autre, ne laissant plus aucune parcelle de peau inconnue.

Rassasiés de cette nuit d’amour, ils s’endormirent dans les bras l’un de l’autre.

 

 

 

 

Un jour, un voyageur se présenta à leur porte, demandant l’asile. Puis, un autre vint se présenter un autre jour, puis encore un autre. Au fil du temps, cela se transforma en des demandes arrivant plusieurs fois par semaine, ce qui fit se poser des questions au couple sur le pourquoi d'un tel passage qui ne cessait de croître. Un homme les mit au courant qu'un sage s'était établi au sommet de la montagne et que de nombreux pèlerins venaient donc profiter de sa sagesse.

 

À force d'ouvrir leurs portes aux voyageurs de passage, Alma proposa à Seung-ho d'ouvrir un relais, ou une auberge, cela leur permettrait de vivre de cette activité. Enjoué par cette idée, il se démena pour agrandir leur modeste maison en une petite auberge, recevant même souvent l'aide de certains voyageurs faisant halte. Grâce à leur motivation et grâce aux coups de main reçus, il ne leur fallut que quelques semaines pour transformer leur maison en un véritable havre de bienvenue pour les pèlerins de passage. 

Au fil des mois, leur établissement prenait vie avec un afflux incessant de visiteurs, Alma et Seung-ho étaient heureux de cette chaleur humaine qui remplissait l'auberge d'une énergie bienveillante. Jamais Seung-ho n'aurait espéré mener une telle existence, vivre aux côtés de celle qu'il chérissait plus que tout et subvenir à leurs besoin de cette façon faisaient de lui un homme comblé, un homme simple traçant son propre chemin malgré le destin qu'on avait voulu lui imposer. 





De nombreuses années passèrent. L'auberge qu'ils tenaient marchait si bien qu'ils avaient même construit une extension afin d'accueillir plus de monde encore. Les voyageurs ne venaient non plus qu'à cause de la présence du sage de la montagne mais aussi pour la réputation de l'établissement.

Rien ne semblait pouvoir déranger cette bulle de bonheur, du moins c'est ce qu'ils pensaient. Un jour deux hommes vinrent se présenter à Seung-ho et s'inclinèrent devant lui. Il s'agissait d'émissaires impériaux. Lorsque Alma vit son cher et tendre avec eux, sans même savoir leur identité, ni même entendre leur conversation, elle sut tout de suite que quelque chose clochait, que cela ne présageait rien de bon. Et elle n'avait pas tort. 

 

"— Vôtre Majesté, vous devez rentrer au plus vite au palais. Son Altesse l'Empereur Sukjong, père et protecteur du royaume, est voué à s'éteindre dans les mois qui suivent. Vous êtes attendu pour prendre sa succession à l'annonce de sa mort en tant qu'héritier.

 

Puis ils saluèrent protocolairement Seung-ho avant de quitter les lieux. Ce dernier se décomposait sur place. Certes, il n'avait jamais entretenu de lien émotionnellement intime avec lui, l'Empereur n'en était pas moins son père, et cette nouvelle le chagrinait, surtout quand il pensait à la douleur que devait ressentir l'Impératrice, sa mère. Mais il avait déjà pris sa décision des années plus tôt en abdiquant son titre, il était hors de question qu'elle ne soit pas respectée et ignorée. Alma avait observé la scène de loin, il croisa son regard. Même si elle n'en avait rien entendu de là où elle était, le fait de le voir habité simultanément par le chagrin et la colère lui noua le ventre. 

 

Cependant, les clients qui étaient proches avaient quant à eux tout entendu de la conversation. Ils étaient estomaqués d'apprendre que Seung-ho était en réalité le fils héritier de l'Empereur, et, très vite, toute l'auberge fut au courant. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. D'abord sur l'île où ils vivaient jusqu'à la ville commerçante, puis du port de commerce, elle se propagea à travers tout le royaume. La popularité et la réputation de leur auberge grandit de manière exponentielle, attirant bien plus de gens qu'à l'accoutumé, certains apportant même des offrandes pour contenter le futur Empereur.

 

 

 

 

Néanmoins, au cours de l'une des nuits des semaines suivantes, un atroce événement survint. En effet, Seung-ho, dont le sommeil était devenu très léger depuis la visite des émissaires, se réveilla après avoir entendu des bruits suspects. Lorsqu'il se redressa du lit en ouvrant les yeux, il vit deux silhouettes dans la pénombre de leur chambre à peine illuminée par une chandelle. Puis, une faible lueur vint se refléter sur des objets métalliques : des épées. Deux assassins étaient présents dans la pièce !

 

Alors que l'un des deux individus bondit vers Seung-ho qui s'était levé, ce dernier esquiva le coup porté en criant le nom d'Alma pour qu'elle se réveille. Seung-ho frappa l'homme qu'il venait d'esquiver, lui faisant perdre l'équilibre. D'un geste maîtrisé, il le désarma et s'empara de son épée puis, dans un mouvement rapide, il l'égorgea. Bien que cela ne prit que quelques secondes, le second assassin s'était quant à lui rué sur la jeune femme qui, contrairement à Seung-ho, n'avait eu ni le temps ni l'adresse de réagir. Quand la vision de sa femme maculée de sang au ventre lui parvint, il laissa exploser sa rage. L'assassin encore en vie n'eut aucune chance face à Seung-ho qui le tua dans son désespoir. Dès qu'il se fut assuré qu'ils étaient bien tous les deux morts, il se jeta aux côtés d'Alma qui gardait ses mains sur son ventre en tentant de ralentir la perte de sang qui coulait abondamment en sanglotant. Les cris de Seung-ho résonnaient dans toute l'auberge, appelant à l'aide. Par chance, l'un des clients y passant la nuit était médecin et il se hâta de porter secours à la jeune femme. 





Après plusieurs heures qui semblèrent interminables pour Seung-ho, le médecin réussit à stabiliser l’état de la jeune femme après avoir stoppé l'hémorragie et suturé sa plaie, les jours d'Alma n'étaient plus en danger selon lui dit-il néanmoins à Seung-ho, mais pas sans lui apprendre une information qui le bouleversa. En effet, bien que le coup d’épée ait fait au final aucun dommage au niveau des organes vitaux de la jeune femme, ils avaient malheureusement  touchés ceux nécessaires à la création de la vie, empêchant Alma d’infanter. Jamais il ne verrait son désir de famille avec elle. Certes, cela lui brisa le cœur, mais tant que Alma était en vie et en bonne santé, il pouvait s’en passer se disait-il, tout de même soucieux de devoir le lui annoncer étant donné que cette dernière s’était évanouie de douleur lorsque le médecin faisait son possible pour la sauver. Lorsqu’elle l’apprit également par la suite, elle sombra dans un profond chagrin.

 

Mais un détail important ne pouvait être ignoré. Les deux assassins qui étaient venus pour les tuer portaient tous deux un sceau impérial, celui de Taejeong, le frère de Seung-ho. Il n’en revenait pas, son propre frère avait tenté de le faire éliminer. Qu’il tente de se débarrasser de lui le heurtait déjà, mais qu’il s’en prenne en plus à celle qu’il aimait le rendit furieux. Cela ne pouvait en aucun cas rester impuni. Il devait se venger, venger ce qu’ils avaient perdu. Et ceci ne pouvait être résolu que d’une seule manière : tuer son frère de ses propres mains pour laver cet affront. Il était à présent hors de question de laisser Taejeong monter sur le trône. S’il était capable d’un tel acte envers son propre sang, tout laissait présager un grand malheur pour l’avenir de Cantha et de son peuple. 

 

 

 

 

Deux semaines passèrent. Chaque jour, Seung-ho prenait soin d’Alma et faisait tout pour lui soulager tout effort afin qu’elle se rétablisse au plus vite. Bien qu’elle était dévastée par son chagrin, elle restait forte, se disant qu’une vie à ses côtés était déjà un don du ciel.

Alors qu’ils étaient tous les deux l’un contre l’autre devant l'âtre de la cheminée de leur chambre, Seung-ho prit un ton grave et lui avoue ses intentions.

 

— Il faut que je t’avoue quelque chose Alma.

 

Elle releva la tête vers lui, prête à écouter ce qu’il avait à dire. Il farfouilla dans son manteau et en sortit les sceaux qu’il avait récupérés.

 

— Qu’est-ce que c’est ?

 

— J’ai retrouvé ça sur les corps des assassins qui sont venus l’autre nuit. Ce sont des sceaux impériaux Alma, ils portent la marque de mon frère.” La jeune femme les regarda avec des yeux mêlant surprise et peur, peur de comprendre où il voulait en venir.

 

— Je ne suis pas sûre de comprendre ce que tu as en tête. Et puis pourquoi a-t-il fait ça ?

 

— Comme mon père est sur le déclin, la course à la succession a été lancée … Apparemment le fait que j’ai abdiqué devant eux n’a pas été pris au sérieux, et Taejeong est déterminé à monter sur le trône.

 

— Oui mais tu n’es pas un danger pour lui si ? Tu ne comptes pas devenir le prochain Empereur de toute façon, tu as tout fuit pour avoir cette vie.

 

L’absence de réponse inquiéta la jeune femme.

 

Attends, tu as changé d’avis ?!

 

— Alma, je ne peux pas ne pas réagir après ce qu’il a tenté de faire !” lui répondit-il en se levant lui et sa voix. “Il a essayé de nous faire éliminer ! Tu as été gravement blessée ! Et nous n’aurons jamais la joie de devenir parents ! Nous n’aurons pas d’héritiers ! Je dois le faire payer pour ce qu’il a fait, quitte à sacrifier ce qu’on a construit pendant toutes ces années, il est hors de question que je le laisse devenir Empereur.

 

— Donc tu comptes partir et tout abandonner, c’est ça ?” Elle aussi commençait à s’énerver.

 

— Tu n’as pas l’air de comprendre j’ai l’impression. Dès qu’il saura que son plan n’a pas abouti, il renverra d’autres personnes jusqu’à ce qu’il arrive à nous faire abattre ! Et s’il est capable de ça, de quoi sera-t-il capable une fois qu’il aura les pleins pouvoirs ? Il faut laisser tout le peuple de Cantha être victime de sa folie ?

 

Alma savait qu’il avait raison, ça lui faisait mal de l’admettre, jamais ils ne seraient tranquilles. 

 

J’ai patienté jusqu’à ce que tu sois pleinement rétablie, mais demain je pars pour Kaineng. Je vais le tuer et assumer mon héritage. Même toi tu ne pourras pas me faire changer d’avis, ma décision est prise.

 

— Alors je viens avec toi.” 

 

— Je préfèrerais que ce ne soit pas le cas, ce sera dangereux, surtout s’il m’arrive quelque chose.

 

— Tu as pris ta décision et j’ai pris la mienne.

 

Seung-ho lâcha un soupir et accepta la volonté de Alma de le suivre.

 

 

 

 

Ainsi, le lendemain, après avoir confié la gestion de l’auberge à un couple d’amis le temps de leur absence, ils prirent la direction de la ville portuaire où ils payèrent pour une traversée directe jusqu’à la cité de Kaineng. Le voyage qui leur avait pris des semaines la première fois ne leur en pris qu’une à peine, ne faisant aucune escale et avançant aussi bien jour et nuit.

Quand ils arrivèrent enfin sur les docks de la cité, l’aube n’était pas loin et les rues de Kaineng étaient encore désertes. Ils en profitèrent pour les traverser sans encombre, sans personne pour les ralentir jusqu’à atteindre les remparts séparant la cité du palais impérial. Les gardes présents les laissèrent passer lorsqu’il leur présenta l’un des sceaux de son frère qu’il avait pris avec lui, leur permettant d’accéder au palais.

 

Ils parcoururent donc les cours et jardins jusqu’à se tenir devant le pavillon de l’Empereur Sukjong, demandant aux gardes devant sa porte d’annoncer leur présence. C’est l’Impératrice Hyosun qui en sortit et exprima son inquiétude en voyant son fils devant elle.

 

— Oh mon fils, que fais-tu là ? Si ton frère l'apprend, il va te faire tuer.

 

— Je suis justement là pour régler ce problème mère. Mais il fallait absolument que je rende visite à père avant. Comment va-t-il ?

 

— J’ai peur qu’il ne nous quitte très vite” répondit-elle en retenant ses larmes. “Son état ne cesse de se dégrader chaque jour qui passe. Les médecins ne peuvent plus rien faire pour lui hormis soulager sa souffrance.

 

— Alors il faut agir d’autant plus vite. Taejeong ne doit pas lui succéder, pas après ce qu’il a fait.

 

— Donc tu acceptes enfin ton destin ?” Le visage de l’impératrice était plein d’espoir.

 

— Je n’ai pas réellement le choix. Si Taejeong prend ma place, je ne serais jamais en paix.

Après avoir un peu échangé avec sa mère, et après lui avoir présenté Alma, il prit le temps d’aller voir son père souffrant. Ce dernier n’était pas conscient, plongé dans un sommeil artificiel à cause des substances qu’il consommait pour supporter son état. Passé ce moment à ses côtés, il ressortit du pavillon et rejoignit les deux femmes qui comptaient le plus pour lui. Le soleil était levé, inondant tout le palais de sa lumière matinale. Le temps d’aller confronter son frère était venu.

 

 

 

 

Alors qu’il était devant le pavillon où résidait son jeune frère, Seung-ho dégaina son épée et se mit à hurler.

 

— Taejeong ! Sors et affronte-moi !

 

Aucune réponse ne se fit entendre. Un lourd silence régnait dans la cour. Pour toute réaction, un groupe de gardes armés vint l’entourer.

 

Sale lâche ! Tu as raison, reste caché !

 

À peine eut-il le temps de parler que les soldats l’attaquèrent, mais Seung-ho avait toujours été un bon épéiste, et il n’avait rien perdu de sa technique malgré le manque de pratique des dernières années. Alma lui découvrait cette facette, jamais elle ne l’avait vu se battre ainsi, le faisant l’admirer encore davantage. Un à un, les gardes tombaient comme des mouches sous sa lame jusqu’à ce que tous soient vaincus, gisants au sol.

 

Taejeong !” Se mit-il à nouveau à hurler de colère. “Sois un homme et affronte-moi ! Assume tes actes et tes intentions !

 

Alors qu’il continuait d’hurler et de provoquer son frère, ce dernier sortit enfin, armé lui aussi. Il arborait un visage malsain, une expression sarcastique l’habitait. Alma sentit un frisson glacial la traverser, un mauvais pressentiment envahissant son cœur. Cet homme était un monstre se dit-elle. D’un sourire narquois il lança à son frère en riant.

 

— Cesse donc de geindre mon frère, je suis là.” 

 

Seung-ho le suivait du regard en le voyant s’approcher, imbu de lui-même.

 

Je vois que tu n’es pas venu seul, tu as apporté ton jouet ?” continuait-il pour le provoquer. “Je me ferai un plaisir de m’occuper d’elle une fois que je me serai occupé de ton cas.

 

Seung-ho fulminait de rage, entendre Alma se faire rabaisser et menacer lui fit perdre tous ses moyens et il se jeta sur son frère, prêt à en découdre avec lui.

 

Chacun d’eux se donnait à fond dans cet affrontement. Les minutes semblaient des heures pour la jeune femme qui assistait à la scène de loin avec l’Impératrice à ses côtés. Alors que Taejeong avait commencé le duel avec une expression confiante lisible sur son visage et des mouvements de combat montrant clairement qu’il jouait avec sa proie, il se rendait compte que Seung-ho n’était pas à prendre à la légère. L’un comme l’autre étaient des adversaires redoutables, des guerriers terrifiants pour quiconque les aurait affrontés sur un champ de bataille. Mais à mesure que l’affrontement durait en longueur, les deux rivaux laissaient apparaître des signes de fatigue.

 

Malgré le fait qu’aucun coup n’avait encore réussi à atteindre son but, un cri retentit dans la cour où ils se battaient. Taejeong était celui ayant hurlé, Seung-ho venait de lui taillader la cuisse ainsi que le mollet, le sang ruisselait le long de sa jambe. Il fit un bond en arrière pour reprendre son souffle et s’écarter de son frère. Seung-ho venait de prendre l’ascendant sur le combat, le gonflant d’orgueil et lui faisant prendre confiance sur son issue proche.

 

— Rends-toi Taejeong. Tu ne fais pas le poids !

 

— Jamais !” lui cracha-t-il comme un chien enragé, en ricanant il ajouta : “Si tu crois que je vais te laisser prendre ce qui me revient tu te mets le doigt dans l'œil mon frère.” 

 

— Assez ! C’est ici que ta vie va prendre fin ! Tu ne feras plus de mal à qui que ce soit !

 

Seung-ho leva son épée, prêt à encore croiser le fer. Taejeong en avait encore sous le coude malgré son état de faiblesse, il parait chaque coup qui lui était porté. Mais une fois encore, Seung-ho parvint à le toucher, au bras, lui faisant perdre la poigne sur son épée qui tomba au sol dans un bruit retentissant qui résonnait dans la cour. Taejong se tenait le bras en reculant, mais Seung-ho réduisait l’écart qu’il essayait de mettre entre eux en s’avançant vers lui. À force de reculer, il finit par trébucher et finit au sol, tentant de reculer encore en rampant. 

 

C’est terminé, tu es fini Taejeong. Un dernier mot à dire avant de mourir ?

 

Ce dernier ne prit pas la peine de répondre, lui adressant simplement un autre sourire narquois avec un regard provocateur. Alors que son sourire ne cessait de grandir, Alma aperçut un garde s’avancer d’un pas rapide vers eux, il était armé. Malheureusement elle n’eut pas le temps de réagir ou d’alerter son homme qui s’apprêtait à achever son plus jeune frère.

 

 

 

 

Alors qu’il levait son épée pour le faire, le garde qu’il n’avait ni vu ni entendu vint le transpercer dans le dos de sa lance. Alma et l’Impératrice hurlèrent d'effroi. Embroché de part en part, Seung-ho fixa la pique sortant devant lui, la bouche ouverte, du sang sortant de sa plaie et coulant de ses lèvres. Il tomba genoux à terre alors que Taejeong, lui, exultait sans se contenir de cette victoire même si elle n’était pas juste. Alma se précipita aux côtés de Seung-ho qui était à présent couché au sol.

 

Alma … il faut que tu t’en ailles …

 

— Non je ne peux pas te quitter” arrivait-elle à peine à articuler entre ses sanglots.

 

— Va-t-en ! Si tu restes ici il va te tuer toi aussi … je t’en supplie il faut que tu vives …

 

Alma pleurait en le serrant contre elle, ses larmes s’écrasant sur le visage de Seung-ho qui tentait tant bien que mal de lui sourire tendrement. D’un geste lent qui le fit grimacer de douleur, il vint caresser sa joue de sa main.

 

— Je t’aime Alma, je t’ai aimé dès le premier instant où je t’ai vu. Ma vie a commencé lorsque tu y es rentré seulement, qu’il t’arrive quoi que ce soit était ma plus grande peur. S’il te plaît reste en vie.” Il toussa, crachant du sang. “Rentre chez nous, sois heureuse même sans moi, vis une longue vie pleine de joie, je resterai à jamais dans ton coeur, tu ne seras jamais seule.

 

Alma ne cessait de pleurer. La main qui parcourait sa joue tomba, le regard de Seung-ho se vida de toute lueur. Il venait de rendre son dernier souffle dans les bras de celle qu’il aimait. Le cœur brisé et tremblante, Alma récupéra l’alliance qu’il portait et se releva malgré sa douleur. Cela la déchirait mais elle savait qu’il avait raison, elle devait fuir.

 

 

 

 

Sans se retourner elle se mit à courir en direction de la sortie du palais impérial, aveuglée par ses larmes. Elle entendait Taejeong rire à gorge déployée, si fier de sa victoire. Elle détalait si vite, ses jambes la portaient sans qu’elle n’en soit consciente. À peine eut-elle franchi les remparts qu’elle se mêla à la foule qui avait pris place dans les rues de la cité, se frayant un chemin à travers les passants jusqu’au port. Par chance, un navire s’apprêtait à lever le pont, elle monta à bord et quitta à jamais la cité de Kaineng, dévastée par ce qui venait de se passer.





Plusieurs semaines plus tard, le bâteau atteignit enfin l’île au sud où elle vivait. Elle ne s’était même pas rendu compte du temps qu’avait pris le voyage. Elle était devenue une coquille vide, anéantie. Les larmes n’avaient cessé de couler tout du long, sans même pleurer, elles coulaient toutes seules.

 

Machinalement, elle descendit de l’embarcation, traversa la ville et regagna son auberge perchée plus haut dans la montagne. Ses pas étaient lents. Elle marchait par automatisme, sans réfléchir, sans aucune pensée dans son esprit. Elle n’était plus elle-même. Quand elle atteignit sa destination, elle alla droit vers leur chambre et s’effondra sur le lit où elle éclata en sanglots. Des heures durant elle pleura dans ce lit qui lui semblait immense et froid, jusqu’à ce que l’épuisement la gagne et elle s’y endormit.

Les jours passèrent, l’amie qui avait tenu l’auberge en son absence lui apportait de quoi manger mais elle ne se nourrissait que très peu, touchant à peine la nourriture. Manger lui donnait la nausée. Alma n’était plus que l’ombre d’elle-même. Sa souffrance semblait contagieuse, son chagrin était si fort que même les clients pouvaient le ressentir sans même la croiser. Chaque nuit, elle revoyait dans ses songes Seung-ho se faire transpercer de cette lance. Elle le revoyait mourir dans ses bras. Jamais elle n’arrivait à se reposer et le fait qu’elle ne se sustentait qu’à peine, elle maigrissait à vue d'œil.




 

 

Même si elle tenait à peine debout, un soir elle sortit de sa chambre et prit la direction d’un chemin qui montait plus haut dans la montagne. Elle marcha aussi loin que ses pieds ne purent la porter jusqu’à ce qu’elle atteignît l’escarpement rocheux où il avait fait sa demande.

La nuit était tombée mais elle s’en fichait. Elle tomba au sol, épuisée, et resta assise ici durant des heures, le regard plongé dans le vide de la vallée qui était face à elle. La pleine lune se reflétait sur chaque arbre et pan rocheux.

 

Après être longtemps restée immobile face à la beauté de cette scène, Alma reprit ses esprits et se releva. Ses frêles jambes la tenaient à peine, mais elle était résolue à faire ce pour quoi elle était venue. Une à une, elle s’empara de pierres plus ou moins grosses qu’elle trouvait aux alentours de là où elle se trouvait, et les rassemblait. Peu à peu, elle les assemblait en un tumulus qui s’érigeait lentement mais sûrement de plus en plus haut par ses soins.

 

Elle n’eut terminé de construire son ouvrage que lorsque le soleil commençait à illuminer timidement le ciel, toujours caché derrière les crêtes des montagnes. À peine quelques minutes plus tard, le soleil illuminait pleinement la vallée et les sommets. Alors, Alma s’agenouilla devant le cairn qu’elle venait de terminer et y déposa dessus l’alliance que Seung-ho portait en gage d’amour lors de leurs fiançailles, faisant du tas de pierres le temple des souvenirs de leur amour. Elle n’avait pas pu ramener le corps de son bien aimé. Elle ne pouvait lui offrir de sépulture convenable, mais elle avait besoin d’un endroit où se recueillir, un endroit où elle aurait ce sentiment d’intimité avec lui malgré son absence.

Elle ne quitta cet humble sanctuaire que lorsque le jour touchait à sa fin. Étrangement, son cœur s’était allégé, le poids qu’elle portait en elle avait disparu. Elle pouvait enfin réaliser le deuil dont elle avait besoin pour se relever. Alma regagna donc son foyer, son âme plus légère.

 

 

 

 

Ainsi les années passèrent. Bien que la tenue de son auberge l’occupait grandement, puisqu’elle était seule à présent pour la gérer, elle prenait le temps chaque jour de retourner au cairn où elle racontait comment s’était déroulée sa journée, comme si Seung-ho était là et pouvait l’écouter. Une nuit, alors qu’elle dormait d’un profond sommeil, Seung-ho vint la visiter dans ses rêves. C’était si réel. Il ne s’agissait pas de souvenirs mais bien d’un aperçu de ce qu’aurait pu être leur vie, s’il était encore là. Curieusement, toutes les nuits suivantes, il venait à nouveau remplir ses rêves. Alma se réveilla chaque matin avec le cœur réchauffé même si une pointe de regret dut à l’absence l’habitait.

 

Alma ne savait pas le pourquoi du comment, mais un jour, alors qu’elle s’était rendue sur la sépulture de son amant, elle vit quelque chose qui la laissa sans voix. Peut-être était-ce l’amour dont ce lieu était témoin, peut-être qu’un Dieu avait eu pitié d’elle, peut-être était-ce simplement un miracle, mais Seung-ho était là, Seung-ho l’y attendait. Ce n’était pas tout à fait lui en réalité, il s’agit de son fantôme, d’une apparition, mais elle était heureuse. Bien qu’elle ne pouvait pas le toucher, il était là. Il était revenu pour elle. Son amour avait-il réussi à ramener l’esprit de son époux ? Peu importe, il était là sous ses yeux, et il pouvait lui parler. Alors elle lui raconta comme d’habitude comment s’était passé sa journée, sa routine ne changeait pas au détail qu’il était littéralement là pour l’écouter et converser avec elle. Alma ne se sentait plus seule.

 

Cependant, alors qu’elle passait de plus en plus de temps au cairn pour être en compagnie de Seung-ho, l’auberge perdait quant à elle ses clients au fil du temps. L’auberge se vidait chaque année un peu plus, jusqu’à ce qu’elle ne reçoive plus personne. Ses pièces qui autrefois résonnaient du rire et des conversations animées des voyageurs étaient devenues silencieuses. Alma était à présent littéralement seule, et avait de plus en plus de mal à gravir la montagne pour rejoindre Seung-ho, les années rongeant son corps de vieillesse. Surtout depuis que l’hiver s’était installé et qu’un épais manteau de neige recouvrait le pays.





Un soir, la tempête au dehors s'envenimait si violemment que Alma avait peur que l’auberge s’envole avec le blizzard environnant. Le vent sifflait dans la cheminée, les flammes auprès desquelles elle tentait de réchauffer son pauvre corps de vieille dame dansaient frénétiquement dans l’âtre. Se rendre au cairn était devenu impossible pour elle, aussi bien à cause du climat que de son âge. Son regard plein de mélancolie regardait vaguement la danse sauvage du brasier.

Soudain, les portes de l’auberge s’ouvrirent en fracas, le vent s’engouffra alors dans l’édifice. Alors que Alma se leva pour aller les fermer, pensant qu’il s’agissait là de l'œuvre d’une violente bourrasque, elle vit devant elle 6 voyageurs transis de froid. Son sens de l’hospitalité reprit du service et elle s’adressa à eux.

 

— Bonsoir voyageurs, que venez-vous faire jusqu’ici en ces terres reculées de tout ?

 

Le plus grand individu du groupe, qui se trouva être une femme, s’avança et lui répondit :

 

— Bonsoir, nous cherchons un abri pour nous protéger de la tempête de neige.

 

 

Ou pas ?!

Cette histoire est un prélude au conte de l’année dernière que vous pouvez retrouver ici !

 

 

 

Remerciements à Melina, Enoren, Mookie et Zori pour la relecture.

Remerciements à Mélina, Baazamut et Séda pour la version audio.

Sources d'images : l'IA NightCafe Creator,

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